mercredi 28 février 2007

Interview Musique en forme de Sort pour Le Manuscrit

Interview de Rodolphe Massé
pour son essai Musique en forme de sort


Quel est votre parcours ?



Quand j’étais enfant, je dirigeais avec quelques copains une maison d’édition imaginaire qui publiait de nombreux magazines. Un artiste hors du commun, Jean Guérin, s’est intéressé aux histoires de science-fiction que j’écrivais et je me suis retrouvé à dix ans en studio pour enregistrer les voix de leur adaptation en feuilleton radiophonique, une expérience fondatrice pour un enfant. A 15 ans, une lettre d’encouragements d’Olivier Messiaen a changé ma vie : elle serait musique et poésie. Au terme de mes études de piano, j’ai découvert l’improvisation et donné mes premiers concerts, rencontré le compositeur Olivier Greif, travaillé avec Loïc Pierre et la Maîtrise Mikrokosmos… Je suis ensuite parti pour Bruxelles sur l’invitation de Julos Beaucarne. L’apogée de cette première période fut un concert en Suisse devant 4000 personnes en 1996. Un autre concert marquant : à Bruxelles, seul au piano, dans le cadre d’une programmation normalement réservée aux lauréats du concours Reine-Elizabeth. Parallèlement, j’ai terminé mes études de lettres, j’ai même enseigné un temps en lycée, classes de 1ère et BTS… Puis j’ai rencontré Arnaud Desjardins et Alejandro Jodorowsky qui ont confirmé l’engagement spirituel au cœur de mon parcours. Par la suite, ma passion pour l’œuvre d’Osamu Tezuka m’a amené à rejoindre les éditions Asuka alors naissantes, début 2004. J’ai adapté et préfacé pour eux plus de 150 volumes et nous avons imaginé ensemble le Guide Phénix du Manga, un outil de référence de 750 pages, dont je suis rédacteur en chef. Sur un autre registre, j’ai pu concrétiser un rêve de gosse en devenant scénariste de BD pour Disney Hachette Presse et plus précisément le Journal de Mickey. La rencontre d’Hélène Grimaud est un autre moment crucial de ces dernières années, point de départ du recueil Cantique des Hauteurs (éd. Maelström / City Lights).



A 19 ans, vous écrivez simultanément votre premier recueil de poèmes et votre premier disque de chansons piano-voix, quel est le lien qui existe, selon vous, entre écriture musicale et écriture littéraire ?



Je n’ai jamais voulu choisir entre musique et poésie ! Pourtant, il s’agit de deux médiums très différents. Je vois l’écriture poétique comme le langage porté à son point d’incandescence, le véhicule de l’idée autant que de l’émotion. La musique est un langage purement émotionnel qui peut court-circuiter l’intellect pour s’adresser au cœur sans détour. Si l’esprit est visé en premier lieu, on obtient une aberration musicale : musique élitiste et stérile qui ne s’adresse plus qu’à une poignée de musicologues. C’est comme si, sous l’influence de quelques esprits forts, le monde de la musique, particulièrement en France, avait été parasité par l’intellect et les postures sectaires depuis un demi-siècle. Heureusement, sous l’influence de Benoît Duteurtre, Jean-François Zygel, William Sheller et quelques autres, les choses commencent à bouger. Mais il reste du chemin à parcourir dans les consciences…



Vous livrez une réflexion personnelle sur la musique contemporaine et sur
vos compositeurs de prédilection, passés ou présents, pensez-vous que chacun
puisse être touché par cette " musique-sortilège " ?



Ou la musique est un charme puissant, ou elle n’est rien du tout. La musique-sortilège dont je parle est de tout temps celle qui s’adresse au plus grand nombre. Voilà pourquoi elle ignore les frontières entre répertoire populaire et savant. Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Schubert ou Satie parlent toujours au cœur de chacun, sans avoir à être expliqués… La musique dite légère est elle aussi parfois très envoûtante… Quant à la musique pop, elle n’est pas forcément légère ! Les définitions ont finalement toujours tort ; la musique est libre et n’entre pas dans ce jeu réducteur.
Ce que je tente de décrire dans Musique en forme de Sort, à travers quelques exemples, c’est la persistance, depuis les origines tribales des premiers chants et jusqu’à nos jours, d’une musique qui s’adresse au cœur de l’homme, à son essence, à cette part irréductible de l’âme qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Une musique qui nous ensorcelle en révélant la beauté de l’instant et la noblesse dont nous sommes porteurs.



Entre Bach, le minimalisme et les Beatles se tisse le lien intime du chant du monde, quels artistes contemporains perpétuent, selon vous, ce sortilège magique irrésistible ?



Philip Glass et Arvo Pärt sont deux compositeurs majeurs de notre époque sur lesquels je m’attarde, parce qu’ils ont su dépasser les cadres étroits du public habituel de la musique contemporaine, et ont été fustigés pour cela. Mais le temps travaille pour eux ! Wim Mertens est un autre exemple marquant. Tout récemment, Johann Johannsson semble confirmer ce retour aux sources magiques, émotionnelles de la musique. Il y en a beaucoup d’autres et j’essaie moi-même, peu à peu, de tendre de toutes mes forces dans cette direction. C’est d’ailleurs l’objet de la création de l’Ensemble en forme de Sort, qui se consacrera à l’interprétation de ma musique.



Pourquoi avoir choisi les éditions le Manuscrit ?



C’est par Albert Barillé (créateur mondialement célèbre des séries Il était une fois… l’Homme, l’Espace, la Vie…) que j’ai découvert les éditions ! Mon enfance avait été bouleversée par le regard de ce pédagogue de génie qui donnait du sens à la marche de l’humanité, ce que l’école ne faisait pas forcément, hélas… J’ai particulièrement aimé son recueil de pensées pour le Manuscrit. En me renseignant sur l’éditeur, j’ai trouvé sa démarche novatrice très importante pour notre époque. Et j’avais envie de publier Musique en forme de Sort dans l’urgence, ce qui n’aurait pas été possible ailleurs. Le Manuscrit était donc le partenaire idéal pour un tel projet, et l’initiateur d’une démarche qui me tient à cœur et que je souhaite aussi soutenir.



Quels sont vos projets d'écriture ?



Je termine les révisions de Grimoire en forme de Sort, prévu de longue date aux éditions Maelström, dont la première version avait circulé presque sous le manteau, relayée par Internet jusqu’à des sites américains. Ce journal-essai, écrit il y a trois ans, développe la notion de conscience magique abordée dans Musique en forme de Sort, qui est en quelque sorte son jumeau musical. Grimoire propose à chaque lecteur de devenir le magicien de son quotidien et de son destin, en utilisant les ressources insoupçonnées de l’imagination créatrice. Je suis d’ailleurs persuadé que le dépassement du clivage entre la dimension horizontale, sociale et politique de l’existence et sa dimension verticale, artistique, magique et spirituelle, est un enjeu majeur de notre temps.
Je souhaite aussi investir davantage les possibilités qu’offre la bande dessinée et aborder le cinéma d’ici quelques années, en tant qu’auteur-réalisateur. Quand j’ai dit à mon ami Jodorowsky que son dernier ouvrage, Mû, le Maître et les Magiciennes, ferait un film magnifique, il m’a répondu en me regardant droit dans les yeux : " Fais-le ! " J’ai éclaté de rire, mais qui sait ? Je pense surtout à Ismélia, un projet datant de mon adolescence, que j’aimerais tourner en noir et blanc, comme un Bergman. Et je rêve d’un film sur l’avenir de l’espèce humaine, aujourd’hui compromis, donnant à voir une humanité pleinement spiritualisée dans un très lointain futur, proche par certains aspects de la vision du Jeu des perles de verre d’Hermann Hesse... En fait, j’aimerais plus que tout rendre compte du jeu de l’amour invisible qui compose et articule chaque être et chaque chose de ce monde.

Interview en ligne sur le site de l'éditeur : http://www.manuscrit.com/Edito/Auteur/Pages/masse_rodolphe_musique_en_forme_de_sort.asp


4 commentaires:

Unknown a dit…

Hello les jeunes,
Le futur sera fait en grande partie par les gens qui sont actuellement formatés par la société contemporaine qui vaut ce qu'elle vaut... Pour ma part, il m'arrive de rêver d'un monde en harmonie avec la nature ce qui est loin d'être le cas.
Conclusion : l'homme choisit son chemin.
Super Blog, continues RORO!
Bisous
Duril

PS : je profite de ce moyen de com pour vous inviter a la maison quand votre emploi du temps vous le permettra, tenez-moi au jus.

Unknown a dit…

Hello les jeunes,
Le futur sera fait en grande partie par les gens qui sont actuellement formatés par la société contemporaine qui vaut ce qu'elle vaut... Pour ma part, il m'arrive de rêver d'un monde en harmonie avec la nature ce qui est loin d'être le cas.
Conclusion : l'homme choisit son chemin.
Super Blog, continues RORO!
Bisous
Duril

PS : je profite de ce moyen de com pour vous inviter a la maison quand votre emploi du temps vous le permettra, tenez-moi au jus.

Anonyme a dit…

Toujours aussi talentueux, mon roro.
Je connais bien les éditions du Manuscrit : j'y ai des amis. La politique maison peut être discutée. Reste que c'est, comme tu le dis, un excellent moyen de publier dans l'urgence... et à la demande. Oui, il s'agit d'un créneau porteur, qui permet à chacun de mettre en mots ce qu'il a dans la tête. La caméra numérique aujourd'hui permet de mettre en images ce qui nous tracasse. Idem pour la musique, une photo et quelques titres sur Myspace, et le tour est joué. Ouais, chacun peut devenir magicien. Reste à s'y retrouver dans cette montagne magique.
Comme je te dois un certain nombre d'éveils musicaux, Glass, Mertens, Pärt, JJ... eh bien, je vais aller sur le Manuscrit, histoire que Cette Musique en forme de sort se penche sur mon berceau.

Rodolphe Massé a dit…

@Duril : Merci, mon Sylvain !
A bientôt, j'espère... peut-être avec le Piyo-Piyo ! ^^
@ Elphodro : Merci d'être là ! ;-) A propos de My Space, Jacques Attali citait récemment l'hallucinant Mydeadspace.com, qui rend hommage à tous les jeunes blogueurs décédés, et dont le blog reste ouvert et accessible... comme suspendu dans le temps. Etrange éternité virtuelle qui interroge...